Dans les nombreuses complexités du rapport hommes-femmes,
une repose sur des seules injonctions sociales, véhiculées par les
médias depuis des lustres, et empoisonne inutilement la vie des uns et
des autres : c'est l'idée fallacieuse que les hommes seraient
responsables des orgasmes des femmes, d'où l'obsession constante de
performance. Le point de vue de notre experte Sophie Bramly.
Un homme, me parlant de sa concubine, me disait récemment « tu te rends compte ? Je l'ai fait
jouir huit fois dans la nuit ! ». Dans cette seule phrase trois points ne devraient pas être :
- Cet homme, au lieu de se soucier de son
plaisir, s’est mis à
compter les orgasmes déclarés de sa partenaire, comme il compte le nombre de chansons dans son iPod
sans savoir lesquelles lui tiennent vraiment à coeur, l’argent dans son
compte en banque sans pouvoir se contenter de ce qui lui est vital, le
nombre d’amis qu’il affiche sur son réseau Facebook sans pouvoir
distinguer lesquels lui sont chers, ceux sur qui il peut s’appuyer. Nous
vivons une époque où le chiffre prévaut sur tout, études et sondages
qui affluent en permanence en attestent : tout doit être rationalisé par
des chiffres, idéalement de gros chiffres. Je me limiterai, ici, à
répondre qu’en matière de sexe,
ce n’est pas le nombre qui compte, mais la qualité.
Un rapport épanouissant, une entente exceptionnelle des corps, valent
mieux que toutes les accumulations d’additions dans de virtuels livres
Guinness des records.
- D'un point de vue anthropologique ou biologique, l’homme a des
rapports sexuels pour assurer sa descendance. Il y a des millions d’années, avant que la
relation de couple n’existe, il copulait ici et là, pour avoir le plus
d’enfants possible, les chances de survie étant faibles. Nous n’en
sommes plus là depuis longtemps et la pilule permet depuis 50 ans de ne
chercher rien d’autre que le plaisir sexuel. L’acte sexuel aujourd’hui
est donc avant tout la
quête du plaisir.
Il y a donc un peu d’égoïsme, que nous devons saluer ici, car dans ce
cas il est salvateur et bénéfique. Dans l’acte, l’homme n’a en réalité
qu’à se préoccuper d’exciter la femme par ce que l’on appelle couramment
des préliminaires (on peut aussi parler de rapports sexuels sans
pénétration) afin qu’elle lubrifie suffisamment au moment de la
pénétration pour le confort des deux partenaires. À ce moment-là, il y a
la rencontre entre deux corps, mais surtout une quête personnelle :
celle de prendre le plus de plaisir possible et de jouir. À cet instant
précis,
on ne donne pas, on prend dans l’échange avec l’autre.
-
On a enfin cessé de penser que le rôle de la femme est passif. Non seulement son vagin n’est pas un conduit qui ne sert qu’au passage des spermatozoïdes, non seulement son
clitoris n’est pas la marque d’une sexualité infantile (ce que pensait Freud),
mais elle a bien des pulsions, des désirs, des organes qui bandent, des
plaisirs à aller chercher elle aussi, un dessein à suivre, un abandon à
avoir et des orgasmes (ou pas). Après l’acte, ce qui compte pour elle,
c’est l’état de grâce dans lequel elle se trouve, et non l’addition
comptable du nombre d’orgasmes. Si c’était le cas, elle se contenterait
de la
masturbation,
tout comme l’homme d’ailleurs. On sait en effet que dans les deux cas
les orgasmes onanistes sont a priori plus forts et pourtant beaucoup
moins satisfaisants.
Nous ne sommes pas responsables des
orgasmes de nos partenaires, nous ne pouvons que
nous accompagner l’un l’autre dans une sorte de courtoisie réciproque, passionnée et passionnante pour atteindre ensemble une ivresse exquise.
Dans
une société où le souci de performance est partout, où les chiffres ont
pris le pouvoir sur les mots, il est bon de rappeler que le plaisir est
affaire de goûts personnels qui n’engagent personne d’autre que soi,
mais qui se partagent délicieusement.
Puisse ce message rassurer tous les hommes qui verraient leur virilité affaiblie par l’
émancipation sexuelle des femmes. Il n’en n’est rien.