Les Anglais nous ont libérés deux fois. Si la Seconde guerre
mondiale est vive dans nos mémoires, notre première libération, qui fut
sexuelle, est, elle, dans les limbes de l'histoire. Explications de
notre experte Sophie Bramly.
Jusqu’à la fin du Moyen Âge, c’est l'Eglise, plus que l’Etat, qui punissait les crimes d’
adultère,
affichant le plus souvent les couples coupables sur la place publique,
pour les fouetter sous le regard avide du peuple, lorsqu’ils n’étaient
pas rasés, en cage avec les
prostituées. Jusqu’au XVIIe siècle, il arrivait même que l’on soit pendu.
Mais entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle, les premières pierres du mode moderne ont été posées, grâce à la
conjonction de changements majeurs : le développement de grandes villes (Londres était la plus grande
ville du monde), l’imprimerie et les livres, la guerre civile de 1649 et
la révolution de 1688, les nouvelles formes de commerce, de
communication et d’organisation sociale.
La
grande ville est le premier acteur clé : on quittait la promiscuité des villages pour l’anonymat des grandes villes : il était ainsi
plus facile d’avoir des rapports illicites, les méthodes de surveillance et de dénonciation pour indiscipline sexuelle ne pouvaient plus s’exercer.
L’imprimerie se développait, les
livres circulaient et avec eux l’idée sous-jacente que l’amour est un jeu
merveilleux, une version plus explicite de cette même idée circulant
dans les ouvrages vendus sous le manteau.
Pendant la guerre entre
Protestants et Catholiques, un des reproches majeurs des premiers aux
seconds était les principes, jugés hypocrites et corrompus, sur
l’ensemble des règles ayant trait à la
sexualité (le difficile célibat des prêtres, la tolérance de la prostitution…).
Vinrent
ensuite la syphilis, le crime et la pauvreté, qui poussèrent les Tudor à
prendre des mesures, qui ont conduit à une plus grande ingérence de
l’État dans les questions sociales et économiques du pays, lesquelles
ont appuyé la disparité de traitement entre hommes et femmes, et entre
riches et pauvres. La guerre civile d’abord, la guerre de religion
ensuite, auront fait le reste.
De tout ceci, on peut ne retenir que l’essentiel : jusque-là, une des formes principales des privations de liberté était l’
interventionnisme dans la vie privée des individus ; un ensemble de facteurs a contribué à
libérer la sexualité de ces derniers, tout en renforçant le pouvoir de l’état.
Comme quoi, enjeux et
jeux sexuels sont de puissants marqueurs de pouvoir.
D’où la nécessité pour les femmes, outre le
plaisir que cela procure,
d’user et d’abuser de ce pouvoir dans la sphère privée,
comme dans la sphère professionnelle. « User et abuser » n’ayant ici
aucune connotation négative, mais signifiant se sentir pleinement
investie par le
désir de désirer, par opposition au désir de plaire. Dans le premier cas, il y
a une véritable puissance à décider, quand, dans le second, il y a une
forme d’asservissement à l’autre ; ce que l’anthropologue Françoise
Héritier désigne sous le nom de « cadette » et que nous qualifions
plutôt sous l’étiquette de « soumise ».
C’est également la thèse que
défendait Naomi Wolf, dans son livre « Quand la beauté fait mal » : à
force de trop vouloir plaire, les femmes risquent de se
désexualiser et de perdre un pouvoir à peine acquis depuis la libération sexuelle et
l’invention de la pilule, lorsque c’est le contraire - selon elle - qui
aurait dû se produire.
N’attendons pas que « les Anglais débarquent » à nouveau, et désirons l’autre comme il nous plaît et sans attendre !